L’année 2019 s’achève et j’ai choisi de faire une courte présentation de ce que je considère comme mes meilleures lectures. Par “meilleures”, j’entends les plus importantes, celles dont l’effet a été le plus fort, celles que je n’oublierai jamais.
Cet article va prendre la forme d’une liste élaborée et améliorée, car d’une part j’ai déjà écrit d’autres articles plus détaillés sur certaines lectures au cours de l’année, et d’autre part, je désire revenir sur certains livres plus tard, bien documentée et mieux éclairée sur le sujet que je souhaite réellement développer.
Je souhaite aussi avant-tout rappeler que s’il est question de partager mes lectures dans cet article, je l’écrit surtout en vue d’avoir une vision globale de mes lectures préférées de l’année. Pour discerner une couleur, une thème récurrent… C’est par ailleurs un exercice très compliqué, car il faut savoir sélectionner, choisir, hiérarchiser les livres.
(J’ai été (très) peu active ces derniers temps, je poste peu pour mon plus grand malheur. Il faut dire qu’on ne m’en laisse pas le temps. Ou plutôt que cette période du mois de novembre au mois de mars est très pénible à gérer.)
Bref, voici un déroulé global, sans classement et le plus exhaustif possible de mes dix meilleures lectures de 2019!
Cyrano de Bergerac – Edmond Rostand (1897)
On commence en beauté avec une pièce de théâtre extraordinaire et d’une richesse infinie: Cyrano de Bergerac ! Je l’avoue, ce n’est pas une découverte. Je l’avais déjà lue en classe de quatrième parce que nous l’étudiions en français. La découverte de cette pièce, je m’en souviens, m’avait procuré un sentiment d’extrême sympathie envers Cyrano. C’est sans surprise toujours le cas ; Cyrano demeure le personnage, que dis-je, le héros, auquel je suis le plus attachée de toute la littérature française ! Je vous invite à lire un article sur la pièce dans lequel je développe quelques points précis: http://aupaysdessoucis.fr/?p=145
Mrs Dollaway – Virginia Woolf (1925)
Je souhaite écrire un article sur ce livre, je ne sais pas quand mais je le ferais pour sûr. Car ce roman relativement court (environ 250 pages) est d’autant plus intense qu’il camoufle sa puissance. En effet, tout le roman n’est que le récit d’une journée sans réelle intrigue. Une journée dans la vie de Clarissa Dollaway que Virginia Woolf met en parallèle avec celle de Septimus Warren Smith. D’ailleurs, les destins séparés des deux personnages (qui ne se croisent qu’une seule fois!) compromettent l’unité d’action et la formation d’une intrigue structurée et continue. Mais ils mettent en relief la simultanéité narrative qui est ce qui m’a le plus marquée lors de cette lecture.
Mon seul regret: ne pas l’avoir lu en VO…
Je ne peux pas m’appesantir sur les personnages qui sont d’une profondeur et d’une justesse trop longues à décrire… Ils reflètent en tout cas selon moi deux aspects de la personnalité de Virginia Woolf ; La sensibilité et la raison de Clarissa, et la folie, les hallucinations et les troubles psychiques de Septimus.
Noces suivi de L’été – Albert Camus (1938)
Je juge nécessaire de lire et relire cet essai d’Albert Camus. Sans plus de détail, je vous invite à lire un article que j’avais immédiatement écrit le soir même de ma lecture, inspirée mais surtout bouleversée: http://aupaysdessoucis.fr/?p=197
Alcool – Guillaume Apollinaire (1913)
Étudié en classe, ce recueil de poèmes m’a fait aimer l’art moderne et l’abstraction en littérature. Je l’exprime d’ailleurs dans cet article: http://aupaysdessoucis.fr/?p=153
La liberté du poète inspire celle du lecteur.
Je vous propose quelques poèmes que j’ai particulièrement apprécié.
Le fameux Sous le pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Crépuscule
À Mademoiselle Marie Laurencin.
Frôlée par les ombres des morts
Sur l’herbe où le jour s’exténue
L’arlequine s’est mise nue
Et dans l’étang mire son corps
Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l’on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D’astres pâles comme du lait
Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salue d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs
Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales
L’aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d’un air triste
Grandir l’arlequin trismégiste
Cors de chasse
Notre histoire est noble et tragique
Comme le masque d’un tyran
Nul drame hasardeux ou magique
Aucun détail indifférent
Ne rend notre amour pathétique
Et Thomas de Quincey buvant
L’opium poison doux et chaste
À sa pauvre Anne allait rêvant
Passons passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent
Les souvenirs sont cors de chasse
Dont meurt le bruit parmi le vent
Et le long et dernière poème du recueil Vendémiaire
Hommes de l’avenir souvenez-vous de moi
Je vivais à l’époque où finissaient les rois
Tour à tour ils mouraient silencieux et tristes
Et trois fois courageux devenaient trismégistes
Que Paris était beau à la fin de septembre
Chaque nuit devenait une vigne où les pampres
Répandaient leur clarté sur la ville et là-haut
Astres mûrs becquetés par les ivres oiseaux
De ma gloire attendaient la vendange de l’aube
Un soir passant le long des quais déserts et sombres
En rentrant à Auteuil j’entendis une voix
Qui chantait gravement se taisant quelquefois
Pour que parvint aussi sur les bords de la Seine
La plainte d’autres voix limpides et lointaines
Et j’écoutai longtemps tous ces chants et ces cris
Qu’éveillait dans la nuit la chanson de Paris
J’ai soif villes de France et d’Europe et du monde
Venez toutes couler dans ma gorge profonde
Je vis alors que déjà ivre dans la vigne Paris
Vendangeait le raisin le plus doux de la terre
Ces grains miraculeux qui aux treilles chantèrent
Et Rennes répondit avec Quimper et Vannes
Nous voici ô Paris Nos maisons nos habitants
Ces grappes de nos sens qu’enfanta le soleil
Se sacrifient pour te désaltérer trop avide merveille
Nous t’apportons tous les cerveaux les cimetières les murailles
Ces berceaux pleins de cris que tu n’entendras pas
Et d’amont en aval nos pensées ô rivières
Les oreilles des écoles et nos mains rapprochées
Aux doigts allongés nos mains les clochers
Et nous t’apportons aussi cette souple raison
Que le mystère clôt comme une porte la maison
Ce mystère courtois de la galanterie
Ce mystère fatal fatal d’une autre vie
Double raison qui est au delà de la beauté
Et que la Grèce n’a pas connue ni l’Orient
Double raison de la Bretagne où lame à lame
L’océan châtre peu à peu l’ancien continent
Et les villes du Nord répondirent gaîment
Ô Paris nous voici boissons vivantes
Les viriles cités où dégoisent et chantent
Les métalliques saints de nos saintes usines
Nos cheminées à ciel ouvert engrossent les nuées
Comme fit autrefois l’Ixion mécanique
Et nos mains innombrables
Usines manufactures fabriques mains
Où les ouvriers nus semblables à nos doigts
Fabriquent du réel à tant par heure
Nous te donnons tous cela
Et Lyon répondit tandis que les anges de Fourvières
Tissaient un ciel nouveau avec la soie des prières
Désaltère toi Paris avec les divines paroles
Que mes lèvres le Rhône et la Saône murmurent
Toujours le même culte de sa mort renaissant
Divise ici les saints et fait pleuvoir le sang
Heureuse pluie ô gouttes tièdes ô douleur
Un enfant regarde les fenêtres s’ouvrir
Et des grappes de têtes à d’ivres oiseaux s’offrir
Les villes du Midi répondirent alors
Noble Paris seule raison qui vis encore
Qui fixes notre humeur selon ta destinée
Et toi qui te retires Méditerranée
Partagez-vous nos corps comme on rompt des hosties
Ces très hautes amours et leur danse orpheline
Deviendront ô Paris le vin pur que tu aimes
Et un râle infini qui venait de Sicile
Signifiait en battement d’ailes ces paroles
Les raisins de nos vignes on les a vendangés
Et ces grappes de morts dont les grains allongés
Ont la saveur du sang de la terre et du sel
Les voici pour ta soif ô Paris sous le ciel
Obscurci de nuées faméliques
Que caresse Ixion le créateur oblique
Et où naissent sur la mer tous les corbeaux d’Afrique
Ô raisins Et ces yeux ternes et en famille
L’avenir et la vie dans ces treilles s’ennuyent
Mais où est le regard lumineux des sirènes
Il trompa les marins qu’aimaient ces oiseaux-là
Il ne tournera plus sur l’écueil de Scylla
Où chantaient les trois voix suaves et sereines
Le détroit tout à coup avait changé de face
Visages de la chair de l’onde de tout
Ce que l’on peut imaginer
Vous n’êtes que des masques sur des faces masquées
Il souriait jeune nageur entre les rives
Et les noyés flottant sur son onde nouvelle
Fuyaient en le suivant les chanteuses plaintives
Elles dirent adieu au gouffre et à l’écueil
À leurs pâles époux couchés sur les terrasses
Puis ayant pris leur vol vers le brûlant soleil
Les suivirent dans l’onde où s’enfoncent les astres
Lorsque la nuit revint couverte d’yeux ouverts
Errer au site où l’hydre a sifflé cet hiver
Et j’entendis soudain ta voix impérieuse
Ô Rome
Maudire d’un seul coup mes anciennes pensées
Et le ciel où l’amour guide les destinées
Les feuillards repoussés sur l’arbre de la croix
Et même la fleur de lys qui meurt au Vatican
Macèrent dans le vin que je t’offre et qui a
La saveur du sang pur de celui qui connaît
Une autre liberté végétale dont tu
Ne sais pas que c’est elle la suprême vertu
Une couronne de trirègne est tombée sur les dalles
Les hiérarques la foulent sous leurs sandales
Ô splendeur démocratique qui pâlit
Vienne la nuit royale où l’on tuera les bêtes
La louve avec l’agneau l’aigle avec la colombe
Une foule de rois ennemis et cruels
Ayant soif comme toi dans la vigne éternelle
Sortiront de la terre et viendront dans les airs
Pour boire de mon vin par deux fois millénaire
La Moselle et le Rhin se joignent en silence
C’est l’Europe qui prie nuit et jour à Coblence
Et moi qui m’attardais sur le quai à Auteuil
Quand les heures tombaient parfois comme les feuilles
Du cep lorsqu’il est temps j’entendis la prière
Qui joignait la limpidité de ces rivières
Ô Paris le vin de ton pays est meilleur que celui
Qui pousse sur nos bords mais aux pampres du nord
Tous les grains ont mûri pour cette soif terrible
Mes grappes d’hommes forts saignent dans le pressoir
Tu boiras à longs traits tout le sang de l’Europe
Parce que tu es beau et que seul tu es noble
Parce que c’est dans toi que Dieu peut devenir
Et tous mes vignerons dans ces belles maisons
Qui reflètent le soir leurs feux dans nos deux eaux
Dans ces belles maisons nettement blanches et noires
Sans savoir que tu es la réalité chantent ta gloire
Mais nous liquides mains jointes pour la prière
Nous menons vers le sel les eaux aventurières
Et la ville entre nous comme entre des ciseaux
Ne reflète en dormant nul feu dans ses deux eaux
Dont quelque sifflement lointain parfois s’élance
Troublant dans leur sommeil les filles de Coblence
Les villes répondaient maintenant par centaines
Je ne distinguais plus leurs paroles lointaines
Et Trèves la ville ancienne
À leur voix mêlait la sienne
L’univers tout entier concentré dans ce vin
Qui contentait les mers les animaux les plantes
Les cités les destins et les astres qui chantent
Les hommes à genoux sur la rive du ciel
Et le docile fer notre bon compagnon
Le feu qu’il faut aimer comme on s’aime soi-même
Tous les fiers trépassés qui sont un sous mon front
L’éclair qui luit ainsi qu’une pensée naissante
Tous les noms six par six les nombres un à un
Des kilos de papier tordus comme des flammes
Et ceux-là qui sauront blanchir nos ossements
Les bons vers immortels qui s’ennuient patiemment
Des armées rangées en bataille
Des forêts de crucifix et mes demeures lacustres
Au bord des yeux de celle que j’aime tant
Les fleurs qui s’écrient hors de bouches
Et tout ce que je ne sais pas dire
Tout ce que je ne connaîtrai jamais
Tout cela tout cela changé en ce vin pur
Dont Paris avait soif
Me fut alors présenté
Actions belles journées sommeils terribles
Végétation Accouplements musiques éternelles
Mouvements Adorations douleur divine
Mondes qui vous ressemblez et qui nous ressemblez
je vous ai bu et ne fus pas désaltéré
Mais je connus dès lors quelle saveur a l’univers
Je suis ivre d’avoir bu tout l’univers
Sur le quai d’où je voyais l’onde couler et dormir les bélandres
Écoutez-moi je suis le gosier de Paris
Et je boirai encore s’il me plaît l’univers
Écoutez mes chants d’universelle ivrognerie
Et la nuit de septembre s’achevait lentement
Les feux rouges des ponts s’éteignaient dans la Seine
Les étoiles mouraient le jour naissait à peine
Mercure – Amélie Nothomb (1998)
Une pointe d’originalité avec Mercure de ma chère Amélie Nothomb. Une jeune fille, Hazel, et un vieillard qui la garde vivent dans un mystérieux manoir sur une île, à l’abri du reste du monde et de tout reflet. Une infirmière, Françoise, arrive de la ville pour soigner la jeune fille souffrante avec qui elle se lie d’amitié. Je ne peux pas en dire beaucoup plus, car tout l’intérêt du roman repose sur la progression du récit, de la relation entre les personnages et surtout des mystères élucidés. Ce qui en fait l’originalité, au delà de l’histoire, est le huis-clos qu’impose l’auteure, mais aussi l’impossibilité de se situer dans la tête d’un des personnages. Ils sont pourtant peu nombreux (trois), attachants et omniprésents. Mais le lecteur ne sait rien de chaque personnage. Et s’il a l’impression de suivre le point de vue de Françoise, il comprendra qu’il a été dupe.
J’ai aussi beaucoup apprécié les références mythologiques profondes et riches d’interrogations.
Un extrait rien que pour attiser votre curiosité:
“Si ce n’étaient que les miroirs ! Si ce n’étaient que les vitres ! On ne me laisse jamais prendre un bain sans en avoir troublé l’eau à force d’huile parfumée. Pas le moindre meuble en marqueterie, pas l’ombre d’un objet en laque. A table, je bois dans un verre dépoli, je mange avec des couverts en métal écorché. Le thé que l’on me verse contient déjà du lait. Il y aurait de quoi rire de ces attentions méticuleuses si elles ne soulignaient pas tant l’étendue de ma difformité.”
La suite dans une deuxième partie…