« Pour éprouver la soif il faut être vivant »
Et pour vivre, il faut avoir un corps. Selon Amélie Nothomb, Jésus est le plus incarné des humains.
Dans Soif, l’écrivaine raconte les derniers instants de la vie de Jésus, condamné au supplice de la crucifixion par les Romains. À travers cette réinterprétation des Évangiles, Amélie Nothomb tente de se rapprocher le plus possible de ce personnage qui lui parle et la tourmente depuis toujours. Grande admiratrice des Évangiles “originaux”, elle admet cependant que certains éléments peuvent constamment mettre mal à l’aise.
Néanmoins, Amélie Nothomb ne se prend pas pour une nouvelle évangéliste, elle utilise d’ailleurs la narration à la première personne, nous laissant entrer dans les pensées du Christ. Cette manière d’utiliser le “je” sans que ce soit autobiographique, chose qu’elle ne fait pas pour la première fois dans ses romans, lui permet d’avoir un point de vue très particulier afin de comprendre ce qui constitue la principale intention du livre, à savoir la crucifixion de Jésus. Pourquoi Jésus s’est-il laissé faire ?
« Je sais, c’est culotté. Mais ça fait cinquante ans que je me tourmente avec ça. »
Elle ajoute une nuit canonique entre la condamnation de Jésus et sa mise à mort. C’est d’ailleurs curieux que ses inquisiteurs les Romains, appréciant les supplices, ne lui aient pas infligé une nuit de méditation avant d’être exécuté. Cette nuit sert donc d’instant de réflexion indispensable à la prise de conscience de Jésus de son sort, puis de son erreur. L’auteure révoltée par ce qu’écrit Jean rapportant la parole de Jésus: « Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne », considère cela comme une erreur, d’autant plus grande que ce dernier est éminemment amoureux de Marie-Madeleine.
Pour aimer, il faut un corps. Par opposition à Dieu qui est Amour, Jésus est incarné, et amoureux. Il affirme également que c’est par le corps qu’il produit des miracles: « Ce que j’appelle l’écorce est physique. Y avoir accès suppose l’anéantissement momentané de l’esprit. Je n’ai jamais été un autre homme que moi, mais j’ai l’intime conviction que tout un chacun possède ce pouvoir. […] Ce n’est pas exactement la peau, c’est juste en dessous. Là siège la toute-puissance. » L’auteure suggère d’ailleurs de substituer au “je” la troisième personne dans ses pensées pour parvenir à cet état de profondeur, pour laisser le corps régner et se soustraire à l’esprit.
Un corps, c’est aussi des besoins. Et parmi les besoins humains, il y a la soif. Jésus dit: « Ce que vous ressentez quand vous crevez de soif, cultivez-le. Voilà l’élan mystique. […] L’amour que vous éprouvez à cet instant précis pour la gorgée d’eau, c’est Dieu. Je suis celui qui arrive à éprouver cet amour pour tout ce qui existe. C’est cela, être le Christ. »
En contredisant Jean rapportant les paroles de Jésus: « Si vous buvez de cette eau, vous n’aurez plus jamais soif », l’auteure souligne le contre-sens en se demandant « Quelle serait l’intérêt d’avoir une religion qui vous coupe la soif, vraiment ?»
Avoir un corps, c’est aussi mourir. Jésus a une omniscience particulière dans le sens où il sait tout mais pas comment. Il sait ainsi qu’il va être condamné à mort mais ne se doute pas qui sera crucifié. Ceci explique peut-être qu’il n’ait pas tenté de s’enfuir. Lors de la nuit précédant son supplice, il connaît la peur de souffrir mais pas de mourir. La mort n’est pas une fin, c’est la continuité de la vie. C’est un autre monde, un autre côté. De cet autre côté, le Temps n’existe pas. Celui qui trépasse est ainsi d’une certaine manière plus intelligent, délivré de l’angoisse perpétuelle que provoque le Temps. C’est un état de profondeur et de sagesse, comme un temps de lecture infini. Proust écrit que « La lecture est le seul moyen de rencontrer l’autre en conservant la profondeur que l’on a uniquement quand l’on est seul. » Amélie Nothomb continue en expliquant que « c’est exactement ça la mort, la conciliation de la rencontre de l’autre avec cet état de profondeur que l’on a dans la solitude. »